Dans son ouvrage Du spirituel dans l'art, écrit en 1910, Kandinsky tend à démontrer que l'art abstrait peut trouver sa source dans la nature et pour comprendre le travail de Jean Vaugeois il suffit de se laisser porter par cette idée. La vision du peintre vient de son univers mental mais elle est inspirée par la nature.
Depuis plus de trente ans cet artiste solitaire parcourt de son regard et de son pinceau la baie de Morlaix en re-dessinant les lieux et les contours, mais toujours, face à ses œuvres se pose la question de l'abstraction, du réel face au motif. Cette peinture, non figurative, n'est pas simplement un jeu gratuit de formes et de couleurs, elle puise sa source dans la réalité du paysage, mais s'affranchit du motif en passant par le filtre de l'artiste qui opère par transposition, insiste sur la relation entre le réel et la peinture.
Dans ces paysages de la baie l'accord entre nature et compositions abstraites est parfaitement rendu. Au départ, le motif, ce paysage immuable dans sa solidité et changeant dans ses couleurs au gré du temps et des marées se transforme en formes colorées qui s'imbriquent les unes dans les autres, ne figurant plus, alors, le réel mais laissant perceptible la proximité de la nature. Le Château du Taureau apparait, dans sa description cartonnée, comme une solidité immuable du temps et de l'inscription dans le paysage. L'artiste reste attaché à la robustesse des masses, cherchant à retrouver la permanence des formes de la nature, le motif du château est géométrisé en facettes, réduit à des formes cartonnées rappelant la solidité de la pierre. Dans le traitement pictural se crée un langage commun de recomposition des éléments, il ne tient pas lieu de la précision topographique, seule la perception compte. L'artiste ne tombe jamais dans l'excès et montre avec raffinement son inquiétude de rendre le volume par un entrecroisement de plans colorés, déconstruisant et recomposant le paysage dans une harmonie savante. La particularité de son travail tient aux différents matériaux qu'il utilise pour animer les surfaces, utilisant le sable et les papiers découpés, créant un relief et répartissant des épaisseurs où s'accrochent les touches de lumière.
Depuis longtemps dans son travail, le bois a remplacé le support traditionnel toile et châssis, la découpe du matériau remplaçant le dessin, la forme est déconstruite pour donner ampleur et liberté à la composition. Jean Vaugeois précipite le paysage dans une instabilité hallucinante niant les recherches de profondeur et de reproduction des apparences au profit de jeux de formes savamment contrôlées. Regarder ses paysages est une illumination de couleurs et de rythmes.
Béatrice Riou historienne de l'art